Le marché de l’assurance responsabilité civile (RC) connaît une accalmie pour les entreprises sur certains segments, mais deux facteurs majeurs ternissent ce climat favorable : d’une part, l’inflation sociale dans les tribunaux américains, et d’autre part, les poursuites liées aux polluants dits « éternels » (PFAS). Ces risques, surtout concentrés aux États-Unis, représentent un défi croissant pour les assureurs et les entreprises.
Les États-Unis continuent de poser de sérieux problèmes aux assureurs européens en raison des « mega nuclear verdicts ». Ce terme désigne des jugements de tribunaux américains qui dépassent les 100 millions de dollars de dommages et intérêts. En 2022, plus de 20 de ces verdicts ont été recensés par l’US Chamber of Commerce, un chiffre sans précédent. Cette tendance s’est confirmée en 2023 et 2024, avec des affaires médiatisées, comme celle condamnant Mitsubishi Motors à verser 1 milliard d’euros à un plaignant devenu tétraplégique.
- Nouvelles mentalités post-COVID : Une génération d’Américains cherche à tenir les entreprises responsables de leurs actes en infligeant des punitions financières lourdes.
- Litigation funding en hausse : Des investisseurs apportent des fonds aux avocats pour financer des procès, en échange d’un pourcentage des dommages obtenus. Ce marché a dépassé 15 milliards de dollars en 2023 selon Westfleet Advisors.
Chiffres clés :
- Coût total de la RC aux États-Unis pour les assureurs en 2023 : 143 milliards de dollars, selon Swiss Re.
- C’est 30 % de plus que les pertes assurées liées aux catastrophes naturelles dans le monde entier la même année.
Face à ces risques, certains assureurs européens conseillent à leurs clients de négocier des accords à l’amiable plutôt que de risquer un procès aux États-Unis, où les décisions peuvent être imprévisibles et catastrophiques.
2. Les risques liés aux PFAS : le casse-tête des polluants éternels
En parallèle de l’inflation sociale, un risque environnemental majeur prend de l’ampleur : les PFAS (per- et poly-fluoroalkylés), surnommés « polluants éternels ». Ces substances, très persistantes, sont utilisées dans des secteurs variés tels que la chimie, la construction et l’électronique. Aux États-Unis, des géants comme 3M font déjà face à des actions judiciaires massives. En Europe, la situation commence à s’intensifier avec des entreprises comme SEB dans la région lyonnaise qui sont ciblées.
Les PFAS dans les tribunaux :
- Plus de 10 000 polluants répertoriés, à l’origine de multiples actions en justice.
- Les assureurs excluent de plus en plus fréquemment les PFAS des garanties RC, notamment dans l’environnement et la construction.
Cependant, des voix plaident pour des exclusions moins systématiques, qui se concentreraient uniquement sur les propriétés toxiques avérées de ces substances. Un groupe de travail commun entre France Assureurs et l’Association des professionnels de la réassurance (APREF) réfléchit actuellement à des solutions.
3. Comment les assureurs et entreprises s’adaptent
Ajustements des assureurs :
Les assureurs, tout en restant présents sur le marché américain, réduisent leurs engagements face à l’augmentation des risques :
- Diminution des couvertures attribuées pour les activités américaines.
- Introduction d’exclusions spécifiques, comme celles des frais de défense et des punitive damages, très coûteux aux États-Unis.
Exemple concret :
Un industriel français du secteur automobile a vu sa couverture pour le marché américain divisée par deux entre 2019 et 2025.
Réponses des entreprises :
Pour protéger leurs programmes globaux d’assurance :
- Certaines entreprises augmentent les seuils de déclenchement de leur couverture globale.
- D’autres envisagent de sortir totalement les États-Unis de leur dispositif, bien que ce soit rarement appliqué.
L’avis d’un expert :
« La qualité des données fournies à l’assureur sur la prévention et la gestion des litiges est devenue une priorité essentielle », souligne Ersida Ago, présidente de la commission Responsabilité de l’Amrae.
4. Une multiplication des risques à l’international
Les pratiques autrefois concentrées aux États-Unis traversent désormais l’Atlantique, notamment au Royaume-Uni, au Portugal et aux Pays-Bas. Ces pays voient émerger de nouvelles actions collectives et accueillent des fonds de litigation.
Impact du changement climatique :
Les catastrophes climatiques combinées aux pratiques de la RC augmentent également les risques :
- Exemple : un pipeline endommagé par un ouragan provoquant une fuite massive de produits polluants.
- Conséquences : les entreprises peuvent être tenues responsables si leurs protocoles de sécurité sont jugés insuffisants.
5. Conclusion : le défi de la responsabilité civile en 2025
Pour les assureurs et les entreprises, le marché de la responsabilité civile devient de plus en plus complexe en raison des pratiques juridiques américaines agressives et des nouveaux défis environnementaux. Les exclusions augmentent, les couvertures se réduisent, et les entreprises doivent redoubler d’efforts en matière de transparence, prévention et adaptation stratégique.
Même si la sinistralité actuelle met une forte pression sur le secteur, les ajustements en cours visent à limiter l’impact des « nuclear verdicts » et des litiges environnementaux sur les assureurs et leurs clients.
Liens de référence pour approfondir :
- US Chamber of Commerce : https://www.uschamber.com
- Swiss Re : https://www.swissre.com
- Westfleet Advisors : https://www.westfleetadvisors.com
- 3M : https://www.3m.com/
- SEB Groupe : https://www.groupeseb.com/fr
Cette analyse montre l’importance pour les entreprises et les assureurs de repenser leurs stratégies face à un environnement juridique et environnemental en pleine mutation. Des ajustements prudents et des investissements dans la prévention restent essentiels pour limiter les impacts des litiges croissants.